Toujours plus

Toujours plus, encore plus, non vous n’en faites jamais assez… allez, allez, encore, plus, poussez, allez, encore, un peu, allez, on attend plus.

« PFFFFFFFF Je vais changer de boulot. » C’est par ce tweet hier soir que j’ai exprimé mon ras le bol en rentrant du collège.

En janvier, comme chaque année, nous recevons notre note pédagogique. Peu de suspense, l’augmentation est bien cadrée, on ne s’attend à rien de plus ou de moins que ce qui est prévu. Même l’appréciation est un copié-collé d’une année sur l’autre, d’un collègue à l’autre. Nous sommes reçus en coup de vent par un chef d’établissement qui a d’autres chats à fouetter en ce mois de janvier et qui nous pose 3-4 questions sans entrer dans les détails. Ce n’est pas un véritable entretien annuel, c’est plus « on papote et vous signez la feuille? ».

Quand j’ai débuté et que ça allait moyennement bien dans mes classes, on me demandait de mieux gérer ça. Bon, tout va bien depuis quelques années.

Ensuite, vu que tout allait bien, on m’a dit « faut être inspectée ». Un an, deux ans, jamais je ne demandais l’inspection, jamais un.e IPR ne venait, trois ans, on insiste encore, bon, je fais une lettre, l’IPR a répondu deux semaines après et a débarqué peu de temps après. Voilà, inspection faite.

Et là, maintenant que le chef d’établissement s’est assuré que tout se passe bien dans mes classes, que je fais mon boulot, que je suis là pour rester quelques années (bah oui, pas de points pour muter…), il attend que je m’investisse plus. « Je ne parle pas de votre travail dans la classe, tout va bien, mais en dehors… j’attends des projets. Vous êtes d’une nature discrète, j’attends que vous preniez votre place dans l’établissement… plus de place. »

Donc, quoi que tu fasses, ce n’est jamais assez. Jamais. Et ça me gave.

Toujours plus, encore plus, allez, un peu plus, encore plus, allez, allez, encore!

Je m’investis dans mes classes et ça m’épuise. J’ai pas envie de créer des projets juste pour être bien vue.

Je prépare mes cours, je les change un peu ou beaucoup chaque année et régulièrement je refais tout, pour varier, améliorer, changer car sinon je m’ennuie. Je remets au goût du jour, je trouve des documents plus récents. Je cherche des idées, je pioche, j’emprunte, j’échange, je discute, je lis, je visionne, j’écoute. Je refais les évaluations chaque année, pour changer, varier, pour pas qu’une famille se dise « tiens, elle a refait le même contrôle d’il y a trois ans! ». Je précise, je m’améliore, je cerne mieux, je trie. Je m’organise, un peu mieux d’année en année. Chaque année j’explore une nouvelle facette du métier que j’améliore. Je cherche, je réfléchis, je teste, je me trompe, je garde, je re-teste, j’essaie.

En classe, je m’investis à 100%. Du non stop. Tu peux pas relâcher l’attention deux minutes, une classe c’est comme un public de théâtre, faut le tenir en haleine pendant 55 minutes non stop. Pas de temps mort, pas de temps pour rêvasser, s’amuser, les laisser prendre le large. Tu sors d’une matinée de 4 heures de cours, t’es lessivée.

J’oublie les récréations. 15 minutes montre en main le matin, dix l’après-midi. Tu perds déjà deux à trois minutes à faire sortir tous les élèves de ta salle. Et au mieux, c’est un jour-off, tu as 12 minutes pour te poser-pisser-boire un café… mais souvent… Un.e élève veut te parler, trois élèves te cherchent pour parler d’un truc, tu cherches un.e collègue pour parler de telle ou telle chose, tu cherches le.la CPE pour parler d’un point précis… Combien de fois ai-je vu ma récré filer?

Quand je rentre chez moi j’apprécie le calme, et j’ai besoin de souffler avant d’envisager de faire « mes devoirs ». Et y passer plus ou moins de temps selon les jours. Je n’ai pas recalculé combien de temps je passais par semaine à bosser (en plus des 18h de présence). Il y a quelques années, j’avais compté et j’étais arrivée à 33-34h lors d’une semaine légère, une moyenne de 38-40h pour une semaine normale et plus de 45h (je comptais plus) lors des semaines chargées avec beaucoup de réunions.

Je participe à tout, je fais tout, je gère mes classes, j’exclue peu, je punis, je gère mes retenues si j’en mets, je passe les coups de fil aux familles si soucis (et en tant que phobique du téléphone, c’est dur), les élèves et les familles semblent contents de voir mon nom apparaître sur leurs emplois du temps en début d’année, mais il est vrai que je n’ai jamais créé un projet-sur-papier-qui-fait-joli-sur-le-bureau-du-Principal.

J’aime bien ce que je fais en classe, même si souvent ça m’épuise, je me sens investie dans ce que je fais mais je ne me vois pas en faire plus. Je gère un mini bibliothèque de prêt en anglais, je gère les inscriptions pour le concours du Big Challenge, j’ai crée l’an dernier tous les cours d’une nouvelle option qui va finalement disparaître au bout de deux ans,  mais non, je n’ai jamais créé un projet-sur-papier-qui-fait-joli-sur-le-bureau-du-Principal. Et je n’ai pas envie.

Que je m’investisse dans cet établissement ou pas de toute façon, le résultat sera le même… que je crée dix projets par an ou pas, j’avancerai à la même vitesse que ce collègue qui crée un projet chaque semaine…  salaire inchangé, évolution de carrière vitesse escargot. Donc bon.

Donc, il attendra.

Je n’ai pas envie.

Certains collègues se plaisent dans ce genre de projets, s’investissent à fond, passent un temps fou au collège et ça leur plaît! Et tant mieux! Mais faire la même chose, non. Je continuerai de rester discrète.

L’autre chose qui m’agace dans ce faux-entretien de 4 minutes trente montre en main c’est qu’il pose chaque année les mêmes questions. Chaque année. Oui, nous sommes nombreux, mais j’en ai assez de répondre chaque année pareil. Qu’il se crée des post-it. « D’où êtes vous originaire? Souhaitez vous y retourner? Vous enseignez depuis combien de temps? Vous envisagez à court ou moyen terme d’aller en lycée? Vous vous plaisez dans l’établissement? »

Pas très loin. Non. C’est écrit sur mon dossier. 9 ans. Non, mais partir oui, mais il faut des points.

A sa question « vous vous plaisez dans l’établissement? », j’ai répondu « oui oui ». Lui « oh c’est un petit oui ça! » Qu’est-ce que tu veux que je dise? Que je m’éclate trop à enseigner à des gosses qui en ont rien à faire? Que j’ai constaté que l’Education Nationale m’a fait perdre toute vie sociale en me faisant déménager 5 fois? Qu’avec 1977€* (échelon 6) par mois je compte les sous pour chaque projet? (mes projets à moi!). Que ça me motive pas spécialement de venir me battre contre des moulins et que je suis plus motivée par mon temps libre que son établissement?

Neuf ans dans l’enseignement, et chaque année me démotive de plus en plus de ce métier… J’ai pas envie d’en faire plus que ça vu que ça servira A RIEN. Alors c’est pas avec sa note pédagogique qui augmente de 0,5 par an et une éventuelle inspection tous 5 ans au mieux que je vais me motiver. Ce que je fais me convient mais non, je n’ai pas envie d’en faire plus.

C’est qu’un travail, c’est pas ma vie.

 

 

*prime REP incluse, sans ça, retranchez 144,50€ brut #LesProfsCesNantis

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