A voté

« A voté »

J’ai donc entendu ça pour la énième fois, aujourd’hui, en allant voter. Je l’entends régulièrement depuis que j’ai 18 ans. D’abord dans la commune où mes parents habitaient, petite commune, pas besoin de pièce d’identité ni de carte d’électeur, tout le monde se connait. Puis, par correspondance, je l’entendais au loin lorsque j’habitais à l’étranger ou lors de ma première année de mutation avant que je ne vote là où je vive. Et depuis quelques années, dans ces villes où nous sommes tou des anonymes et des numéros sur des listes.

Je suis toujours allée voter. Par sens du devoir. Par idéal à une époque aussi. Pour le symbole aussi. Mais aussi et surtout en mémoire de.

J’entends déjà les « en mémoire de tous ceux qui sont morts pour le droit de vote? ». Pas vraiment. je le croyais avant, mais force est de constater qu’ils sont peu nombreux à être morts pour ce droit….

Pour les femmes n’ayant pas eu ce droit, oui et non. Bien sûr je pense aux Anglaises de la fin du XIXe siècle….

En vrai, non, je vote en mémoire de mon arrière-grand-mère Berthe. Enfin, Rosa. Enfin Rosa Berthe. Oui, comme souvent à la campagne jadis, elle avait un prénom à l’Etat Civil mais dans la vie de tous les jours, elle en utilisait un autre. La plupart de la famille a découvert son prénom lors de son décès. Avoir un si joli prénom et en utiliser un aussi laid.

Donc, mon arrière grand-mère, née avec le siècle avait eu le certificat d’études en 1913. Peu de filles l’avaient dans ma campagne à cette époque. Loin d’être bête, mais à l’époque, après le certif’… travail à la ferme, mariage, enfants, quoi d’autres?

Et elle savait la messe en latin, par cœur. Sans rien y comprendre. Sans avoir fait de latin.

Je ne sais pas grand chose de sa vie. Si ce n’est qu’elle est née avec le siècle, qu’elle a eu ce certificat d’études en 1913 (nous avons encore le diplôme, fierté familiale), mariée en 1920, voyage de noces à Paris. A l’époque, rendez-vous compte! Toute une épopée d’aller aussi loin! Logement gratuit pour ce voyage chez l’oncle et la tante ayant un café à la capitale. Ils étaient montés en haut de la Tour Eiffel, et elle disait souvent « je me souviens des gens, en bas, ils étaient petits… petits… »

Je vais donc voter pour elle. Comme vous l’aurez compris, elle a voté pour la première fois âgée de 45 ans.

Je n’ai que peu de souvenirs d’elle, mais j’ai toujours entendu ma mère dire, qu’elle leur disait à chaque élection: « moi, je vais voter et j’irai toujours voter. Je me souviens quand j’étais jeune, ils nous narguait tous en partant, en nous disant qu’ils allaient voter, que nous, on en avait pas le droit, qu’on s’en fichait pas mal de l’avis des femmes et que jamais les femmes n’auraient le droit de vote car ça servait à rien. »

Et j’imagine sa rage.

Et j’imagine sa joie en 1944.

Alors je vais voter.

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